Comment juger une bière en concours : coulisses et vérité sur les médailles

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Dans l’univers brassicole, les concours et leurs médailles occupent une place stratégique tant pour les professionnels que pour les consommateurs. Ces compétitions offrent une visibilité précieuse et influencent nos choix, mais que se passe-t-il réellement derrière le rideau ? Entre rigueur d’analyse sensorielle et considérations commerciales, le jugement d’une bière en concours relève d’un processus complexe que peu connaissent vraiment.

Cet article vous plonge dans les coulisses de l’évaluation professionnelle de la bière, dévoile les mécanismes des concours et questionne la valeur réelle des médailles qui ornent les étiquettes. À travers l’exploration du Concours Général Agricole, des certifications internationales comme le BJCP, et des enjeux économiques sous-jacents, vous comprendrez ce qui fait la différence entre une dégustation amateur et un jugement professionnel.

Comment juger une bière en concours Coulisses et vérité sur les médailles

L’anatomie d’un concours de bière : le cas du CGA 2025

Le Concours Général Agricole (CGA) représente l’une des compétitions les plus emblématiques pour les brasseries françaises. Organisé pendant le Salon de l’Agriculture, ce concours rassemble des centaines d’échantillons provenant de l’ensemble du territoire.

Un jury mixte et une dégustation à l’aveugle

La force du CGA réside dans la composition de ses jurys. Contrairement à certaines idées reçues, il ne s’agit pas uniquement de professionnels chevronnés. Chaque table réunit un mélange équilibré d’experts du secteur brassicole (brasseurs, cavistes, zythologues) et d’amateurs éclairés. Cette diversité permet de confronter différentes perspectives : celle, technique, des professionnels et celle, plus représentative, des consommateurs.

Pour l’édition 2025, chaque table comptait généralement six personnes et devait évaluer huit à neuf bières classées par style. Tous les échantillons sont présentés anonymement, sans étiquette ni identifiant, pour garantir une évaluation impartiale. Cette méthode de dégustation à l’aveugle constitue le fondement même de la crédibilité du concours.

L’ampleur croissante du concours

L’édition 2025 du CGA a connu une augmentation significative du nombre d’échantillons soumis, avec près de 16% de bières supplémentaires par rapport à l’année précédente. Les chiffres parlent d’eux-mêmes :

  • Plus de 800 échantillons évalués
  • Une centaine de tables de dégustation
  • Environ 480 jurés mobilisés
  • Plus de 130 brasseries participantes
  • 198 médailles décernées

Cette croissance témoigne de la vitalité du secteur brassicole français, qui compte aujourd’hui plus de 2500 brasseries, mais pose également des questions sur le processus de sélection et la valeur des médailles attribuées.

Le BJCP : référence mondiale pour l’évaluation des bières

Le Beer Judge Certification Program (BJCP) constitue aujourd’hui la référence internationale en matière d’évaluation des bières. Créé aux États-Unis à la fin des années 1980, cet organisme a développé un cadre rigoureux pour la formation et la certification des juges.

Un processus de certification exigeant

Devenir juge BJCP nécessite de passer par plusieurs étapes d’évaluation :

  1. L’examen en ligne : un questionnaire technique d’une centaine de questions à compléter dans un temps limité, couvrant la connaissance des styles, le processus de brassage, l’analyse sensorielle et les défauts potentiels.
  2. L’examen pratique de dégustation : une série de bières à analyser selon une méthodologie précise, avec obligation de remplir des fiches détaillées décrivant l’apparence, les arômes, les saveurs et l’impression générale.

Le processus est exigeant mais relativement accessible financièrement (environ 60 dollars), contrairement à d’autres certifications comme le Cicerone qui s’avèrent plus coûteuses.

Le guide des styles BJCP : bible de référence avec ses limites

Le BJCP est surtout connu pour son guide des styles de bière, un document exhaustif qui décrit les caractéristiques, l’histoire et les spécifications techniques de presque tous les styles connus. Ce guide est devenu un outil indispensable dans le milieu brassicole.

Bien que très complet, ce guide présente certaines limites, notamment :

  • Une approche parfois trop américano-centrée des styles
  • Des mises à jour irrégulières (la dernière grande révision date de 2021)
  • Une orientation historiquement tournée vers les concours amateurs

Pour pallier ces limitations, de nombreux professionnels complètent leur référentiel avec d’autres sources comme le guide de la Brewers Association, qui offre une approche plus synthétique et plus régulièrement actualisée (édition 2024).

L’art délicat du jugement objectif

L’un des défis majeurs pour tout juge de bière reste l’objectivité. Comment évaluer équitablement un produit qui ne correspond pas à ses préférences personnelles ?

Faire abstraction de ses goûts personnels

La capacité à mettre de côté ses préférences constitue l’une des compétences fondamentales d’un bon juge. Il s’agit de reconnaître les qualités techniques d’une bière même si son profil ne correspond pas à vos goûts personnels.

De même, lors du CGA, des discussions peuvent émerger entre professionnels habitués aux bières craft modernes et amateurs préférant des profils plus traditionnels et accessibles. Cette tension entre subjectivité et objectivité fait partie intégrante du processus d’évaluation.

La méthodologie d’analyse sensorielle

Pour contrebalancer cette subjectivité inhérente, les concours s’appuient sur des méthodologies rigoureuses :

  1. Description détaillée plutôt que simple notation : Le BJCP oblige les juges à remplir plusieurs lignes de description pour chaque aspect (visuel, arômes, saveurs) avant de donner une note.
  2. Vocabulaire technique précis : Utilisation d’une terminologie standardisée pour décrire les caractéristiques et les défauts éventuels.
  3. Évaluation par rapport au style déclaré : La bière est d’abord jugée sur sa conformité au style dans lequel elle est inscrite, puis sur ses qualités intrinsèques.
  4. Approche constructive des défauts : Lorsqu’un défaut est identifié, le juge doit non seulement le nommer précisément mais aussi suggérer des pistes d’amélioration.

Cette approche structurée garantit une évaluation plus équitable et utile pour les brasseurs, même si elle ne peut jamais éliminer totalement la part de subjectivité.

Le business caché des concours de bière

Derrière le prestige des médailles se cache une réalité économique que tout amateur de bière devrait connaître. Les concours sont aussi des entreprises avec leurs propres modèles économiques.

Le coût réel pour les brasseries

Participer à un concours représente un investissement significatif pour les brasseries :

  • Frais d’inscription : Pour le CGA, une brasserie peut payer jusqu’à 1200 euros pour soumettre une dizaine d’échantillons.
  • Coûts logistiques : Préparation, emballage et expédition des échantillons.
  • Exploitation des résultats : Environ 2 centimes par étiquette pour apposer la médaille sur les bouteilles primées.

Cette réalité économique soulève des questions légitimes sur l’équité des jugements. Comme l’a souligné un brasseur lors du CGA 2025 : « Les brasseries paient pour être sur ce concours… Si une bière n’a pas de défaut rédhibitoire et qu’elle est correcte, c’est important de lui accorder une reconnaissance. »

L’impact commercial des médailles

L’investissement dans les concours est-il rentable ? Pour beaucoup de brasseries, la réponse est affirmative, particulièrement pour celles qui distribuent leurs produits en grande distribution ou sur les marchés.

Une médaille peut avoir un impact significatif sur les ventes, comme l’illustre l’expérience de la Brasserie du Pays Flamand qui a constaté une augmentation notable après avoir remporté une récompense à la World Beer Cup.

Les médailles jouent un rôle crucial pour les consommateurs qui ne bénéficient pas de conseils personnalisés. Face à un rayon de bières, la présence d’un macaron doré peut faire la différence dans la décision d’achat, particulièrement pour ceux qui ne sont pas experts.

Les concours design et autres niches

Au-delà des concours centrés sur la qualité organoleptique, d’autres compétitions se focalisent sur le packaging ou le design des étiquettes. Ces concours, comme le Pentaward, peuvent être extrêmement coûteux (jusqu’à 500€ par étiquette soumise) et soulèvent des questions sur leur réelle impartialité.

Cette diversification des concours témoigne de l’importance croissante du marketing dans l’industrie brassicole, où le packaging joue un rôle déterminant dans l’acte d’achat.

L’importance d’un retour constructif

Au-delà de l’attribution des médailles, la valeur fondamentale d’un bon concours réside dans la qualité du feedback fourni aux brasseries participantes.

Une critique respectueuse et utile

L’approche du BJCP en matière de retour est exemplaire à cet égard. Lorsqu’un défaut est identifié, le juge doit :

  1. Le nommer précisément (diacétyle, DMS, acétaldéhyde, etc.)
  2. Expliquer son origine potentielle
  3. Proposer des solutions correctives adaptées

Cette approche contraste fortement avec certaines critiques destructives qu’on peut parfois observer, notamment sur des plateformes comme Untappd où des utilisateurs peuvent se montrer particulièrement sévères sans apporter de valeur ajoutée.

« Quand quelqu’un écrit ‘c’est pas bon’ ou pire ‘c’est dégueulasse’, c’est insultant et non respectueux. Le gars a travaillé pour faire cette bière, l’a présentée. S’il l’a présentée, c’est qu’il pense que son produit est de qualité. », explique Dorothée Van Agt, formatrice et consultante en zythologie.

Le retour comme outil d’amélioration

Pour de nombreuses brasseries, particulièrement les plus petites ou récentes, le feedback des concours constitue une ressource précieuse pour améliorer leurs produits. Le CGA, par exemple, fournit systématiquement un compte-rendu de dégustation à chaque participant, qu’il ait obtenu une médaille ou non.

Cette dimension pédagogique et constructive transforme les concours en véritables outils de développement pour l’ensemble de la filière brassicole, au-delà de leur fonction de distinction commerciale.

Pourquoi les certifications valent-elles la peine ?

Face à la multiplication des concours et certifications, il est légitime de s’interroger sur leur réelle valeur ajoutée pour les professionnels du secteur.

Un atout professionnel indéniable

Obtenir une certification comme le BJCP représente un atout significatif sur un CV dans le secteur brassicole. Pour un employeur, c’est l’assurance que le candidat possède :

  • Une connaissance approfondie des styles de bière
  • Des compétences en analyse sensorielle
  • Une capacité à identifier et comprendre les défauts
  • Une approche méthodique de la dégustation

Comme l’explique Dorothée : « Si demain vous voulez être embauché dans une brasserie et que vous mettez BJCP sur votre CV, je me dis que la moitié du travail est faite, je n’ai pas besoin de former la personne sur les styles de bière, la dégustation. »

Un outil de qualité pour les brasseries

Pour les brasseurs, qu’ils soient amateurs ou professionnels, la formation aux techniques de dégustation professionnelle permet d’améliorer considérablement leur processus de production :

  1. Détection précoce des défauts : Identifier un problème pendant la fermentation plutôt qu’après conditionnement
  2. Analyse des causes : Comprendre si un défaut provient du processus de brassage, de la fermentation ou des conditions de stockage
  3. Amélioration continue : Mettre en place des protocoles de dégustation rigoureux tout au long du processus de production

La capacité à évaluer correctement son propre produit constitue ainsi un outil fondamental de contrôle qualité, particulièrement précieux pour les structures qui ne disposent pas de laboratoire d’analyse sophistiqué.

Une culture brassicole enrichie

Au-delà des aspects techniques et professionnels, les formations et certifications contribuent à enrichir la culture brassicole globale :

  • Meilleure compréhension de l’histoire des styles
  • Appréciation plus fine des différentes traditions brassicoles
  • Développement d’un vocabulaire commun et précis
  • Échanges facilités entre professionnels et amateurs

Cette dimension culturelle joue un rôle essentiel dans l’élévation générale de la qualité des bières et dans l’éducation des consommateurs.

Conclusion : au-delà des médailles

Les concours de bière et les certifications de dégustation occupent une place importante dans l’écosystème brassicole contemporain. Loin d’être de simples outils marketing, ils contribuent, lorsqu’ils sont bien conçus, à l’amélioration constante de la qualité des produits et à l’éducation des professionnels comme des consommateurs.

Le jugement d’une bière en concours reste un exercice délicat, à la croisée de l’expertise technique, de la sensibilité personnelle et des réalités économiques. L’objectivité parfaite demeure un idéal vers lequel tendre plutôt qu’un état atteignable, et c’est peut-être dans cette tension même que réside la richesse de l’évaluation sensorielle.

Pour le consommateur averti, comprendre ces mécanismes permet de relativiser la valeur des médailles tout en appréciant leur rôle d’indicateur. Pour le professionnel, participer aux concours ou obtenir des certifications peut constituer une démarche enrichissante bien au-delà de la simple quête de reconnaissance commerciale.

FAQ : Tout savoir sur les concours de bière et leur évaluation

Comment se déroule concrètement le jugement d’une bière en concours ?

Le processus commence toujours par une dégustation à l’aveugle où les juges ne connaissent ni la marque ni la brasserie d’origine, seulement le style dans lequel la bière concourt. Les jurés, généralement regroupés par tables de 4 à 6 personnes, évaluent plusieurs critères : l’apparence (couleur, limpidité, mousse), les arômes, les saveurs, la sensation en bouche et l’impression générale. Chaque aspect reçoit une note selon une grille préétablie, et des commentaires détaillés doivent justifier l’évaluation. Le jury discute ensuite collectivement pour attribuer les médailles, cherchant idéalement un consensus plutôt qu’un simple calcul de moyenne.

Quelle est la différence entre le BJCP et d’autres certifications comme le Cicerone ?

Le BJCP (Beer Judge Certification Program) et le Cicerone sont deux certifications complémentaires mais distinctes. Le BJCP se concentre spécifiquement sur la capacité à juger des bières en concours, avec un accent particulier sur l’analyse sensorielle, l’identification des défauts et la connaissance approfondie des styles. Le Cicerone, quant à lui, couvre un champ plus large incluant le service de la bière, l’accord mets-bières, la gestion des fûts et l’histoire brassicole. Le BJCP est généralement plus accessible financièrement (environ 60 dollars) mais techniquement exigeant, tandis que le Cicerone propose plusieurs niveaux de certification avec des coûts croissants. Les deux systèmes sont reconnus internationalement, bien que le BJCP soit davantage orienté vers les concours et le Cicerone vers le service et la vente.

Une bière médaillée est-elle nécessairement une bonne bière ?

Une médaille indique qu’une bière a été jugée favorablement par un panel de dégustateurs dans un contexte spécifique, mais cela ne garantit pas qu’elle correspondra à vos goûts personnels. Les médailles attestent généralement que la bière est techniquement bien exécutée, sans défauts majeurs, et qu’elle correspond aux critères du style dans lequel elle concourt. Cependant, les préférences gustatives restent profondément subjectives : une bière parfaitement exécutée dans un style que vous n’appréciez pas (très amère, très acide, très sucrée) ne vous semblera pas « bonne » malgré sa médaille. Par ailleurs, certains concours moins rigoureux ou ayant un taux élevé de médailles peuvent diluer la valeur de cette reconnaissance. Les médailles restent néanmoins un indicateur utile, particulièrement pour explorer de nouvelles brasseries ou styles.

Combien coûte la participation à un concours pour une brasserie ?

Les coûts varient considérablement selon les concours. Pour le Concours Général Agricole en France, une brasserie peut investir jusqu’à 1200 euros pour soumettre une dizaine d’échantillons. Pour des compétitions internationales prestigieuses comme la World Beer Cup ou les European Beer Star, les frais d’inscription sont généralement de 100 à 200 euros par échantillon. À ces coûts directs s’ajoutent les frais logistiques (préparation spécifique, emballage, expédition) et, en cas de succès, les coûts d’exploitation des résultats (environ 2 centimes par étiquette pour apposer la médaille, communication, parfois droits à payer pour utiliser le logo du concours). Pour une petite brasserie, la participation à plusieurs concours peut représenter un budget annuel significatif, ce qui explique pourquoi certaines se concentrent sur quelques compétitions stratégiques correspondant à leurs marchés cibles.

Comment devenir juge dans un concours de bière ?

Devenir juge dépend du type de concours visé. Pour des concours comme le Concours Général Agricole, l’inscription est généralement ouverte à tous, professionnels comme amateurs, avec une simple validation sur dossier qui examine votre connaissance et expérience dans le domaine brassicole. Pour intégrer des jurys plus techniques, une certification comme le BJCP est souvent requise, ce qui implique de passer l’examen théorique en ligne puis l’examen pratique de dégustation. Des associations comme le CRAB (Collectif de Réflexion Autour de la Bière) en France proposent des formations préparatoires. Pour les concours internationaux majeurs, l’expérience préalable dans d’autres concours, une certification reconnue et souvent des recommandations de juges établis sont nécessaires. Dans tous les cas, développer ses compétences en analyse sensorielle, approfondir sa connaissance des styles et participer régulièrement à des dégustations structurées constituent le chemin le plus sûr pour devenir un juge compétent et reconnu.

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